"Coupeur de route", une aire inspirée
Pour son premier film, le réalisateur Christophe Granger dresse le portrait de Nino, personnage énigmatique, ambigu, voire dangereux… Durant les vingt minutes de vie capturées dans Coupeur de route, Nino déambule et fait toutes sortes de rencontres dans cet espace transitoire que constitue l'aire d'autoroute. Une réussite, encouragée par une sélection pour le prix du court métrage des lycéens, Haut les courts !
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Quelles ont été vos références cinématographiques, vos inspirations, pour imaginer la trame de Coupeur de route ?
Christophe Granger : Le protagoniste descend des personnages d’antihéros du cinéma américain des années 70 : Easy Rider, L’Épouvantail, le rôle de Jeff Bridges dans Thunderbolt & Lightfoot… Des personnages inadaptés dans un monde qui n’est pas, ou plus, à leur mesure et qui est souvent prêt à les écraser.
Le reste est venu par le lieu, l’aire d’autoroute – qui est un lieu qui m’a toujours inspiré ! Souvenir d’enfance, de vacances, ces aires ont quelque chose de rassurant mais d’inquiétant aussi, quand tout se vide la nuit avec ces immenses parkings, un camion isolé, ou un fumeur mystérieux dans un coin… On connaît tous les aires d’autoroute, pourtant, il y a aussi tout l’univers du transport routier, en parallèle, qui a ses propres zones dédiées. J’ai voulu suivre un personnage qui vivrait dans cet envers du décor et qui s’en servirait pour voyager de la façon qui est la sienne dans le film.
Aviez-vous la volonté ferme d’inverser les clichés, ou les rôles à emploi, que sont respectivement celui de la prostituée travaillant sur des aires d’autoroute, et celui du routier un peu bourru et solitaire, en attribuant le premier au personnage de Nino et le deuxième à celui de Sarah ?
C.G : C’est quelque chose qui est apparu instinctivement durant l’écriture. J’ai tout de suite imaginé un protagoniste masculin et comment il pourrait s’en sortir dans les conditions qui sont les siennes. La prostitution masculine est effectivement moins filmée. La sienne est ponctuelle, c’est une composante de son voyage parmi d’autres. Le caractère du personnage s’est développé et adapté en fonction des circonstances de son périple : je l’ai vu très extraverti, virevoltant, pour qu’il soit capable de passer d’une langue à l’autre, d’un milieu à l’autre, capable de se débrouiller et d’interagir avec n’importe qui sur l’aire d’autoroute, toujours dans l’optique d’y trouver son intérêt.
Pour Sarah, la routière, je suis aussi allé vers un personnage féminin qu’on voit moins souvent : très renfermé, qui ne sourit pas. Surtout, je voulais filmer un rapport de corps inhabituel, avec la femme plus grande que l’homme, voire plus forte physiquement. Ça allait aussi dans le sens du scénario en permettant à Sarah d’être sur un pied d’égalité avec Nino, et donc de pouvoir accepter la rencontre avec moins d’appréhension.
La forme du court métrage pour raconter cette histoire s’est-elle imposée comme la forme juste ou était-elle contrainte (pour des raisons de temps ou de budget) ?
C.G : C’était la forme juste : dès le départ j’ai imaginé le projet comme un court métrage. Ce film est une histoire de rencontre, d’atmosphère, il n’y a pas de grands enjeux dramatiques. Le format court était justement adapté pour évoquer cette parenthèse étrange que partagent les personnages sur l’aire d’autoroute.
Pourquoi avoir choisi ce passage ?
C.G : J’ai choisi l’attaque du camion car j’ai adoré tourner ce passage "action" du film ! Enfermés dans la cabine, Théo Augier Bonaventure et Aurélie Lannoy, les deux acteurs et actrices principaux, font un super travail pour faire monter la tension alors qu’ils ont dû jouer toute la scène dans le silence et le calme le plus complet : toute l’agitation et les cris à l’extérieur du camion ont été joués et enregistrés séparément, à un autre moment.
Ceux qui jouaient les camionneurs étaient pour la plupart des figurants sans expérience préalable, trouvés autour des lieux de tournage. On a réussi à travailler ensemble, ça a très bien fonctionné de les mêler à nos acteurs professionnels.
Dans cette scène, pleins de trucages un peu ridicules interviennent : le bras qui est tasé par Nino à travers le rideau était un faux bras de mannequin tenu par un technicien ; la vitre du camion n’a pas été cassée, elle est simplement laissée ouverte et des bris de verre sont jetés par l’accessoiriste…
Mais avec tout le travail sur l’image, le son, tous ces éléments prennent une force qu’ils n’acquièrent qu’une fois mis tous ensemble. Quand ça marche au montage, c’est magique.
Quel est votre prochain projet de film et nourrit-il des liens avec Coupeur de route ?
C.G : Je travaille sur un deuxième court métrage, ainsi qu’un projet de long métrage, mais c’est encore le tout début. Il n’y a pas de continuité de l’histoire mais plutôt une approche ou un univers similaire, dans le sens où ces projets suivent à nouveau des personnages un peu en marge, que ce soit dans leur façon d’être ou de vivre.