Faire entendre sa voix par le cinéma
Dans le cadre du dispositif Résidences en territoire que propose ALCA, le lycée agricole Armand-Fallières de Nérac, dans le Lot-et-Garonne, a reçu en ce printemps la cinéaste Stéphanie Régnier pendant six semaines. Le projet intitulé "Personnage-paysage" a invité une classe de terminale professionnelle Conduite et gestion de l'entreprise hippique à prendre la parole à travers un atelier de réalisation. Il prolonge un travail mené en classe par l'enseignant d'éducation socioculturelle nommé "Ce que j'ai à vous dire". Dans une démarche à la fois d'éducation aux images et à la citoyenneté, l'équipe enseignante et l'artiste ont souhaité offrir un espace de parole aux élèves par le biais de la caméra.
Les élèves sont entrés dans le projet en découvrant le travail de Stéphanie Régnier, à travers une projection de son documentaire Kelly, qui suit le parcours mouvementé d'une femme sur trois continents, ainsi que la lecture d'extraits d'un de ses scénarios de fiction. Ces rencontres ont permis d'aborder la question de la construction du personnage dans les différents genres, de l'écriture des dialogues ou encore de la mise en scène. Puis les élèves ont choisi chacun un sujet qu'ils souhaitaient aborder, ont formé des groupes thématiques et ont travaillé à l'écriture de scénario. "Ils ont très vite compris les principes du scénario, remarque la cinéaste, car c'est une génération de l'image."
Les jeunes se sont ensuite initiés au matériel audiovisuel lors des tournages. Un des groupes travaillant sur la maltraitance animale a même eu l'occasion de tourner avec un chien qui s'est parfaitement prêté au jeu, ce qui reste un excellent souvenir pour les élèves qui ont bien entendu pris grand soin de ce dernier. "C'était important pour nous de choisir cette thématique car la maltraitance animale est encore trop présente et qu'on n'en parle pas assez", affirme d'un seul ton le groupe particulièrement concerné dans une filière équine. D'autres équipes de tournage ont connu plus de difficultés en raison de l'épidémie de Covid. Il a parfois fallu réinventer le projet, comme c'est le cas de l'équipe abordant les violences faites aux femmes. Les filles (la classe est majoritairement féminine) avaient écrit une fiction ambitieuse en ayant à cœur d'aborder les thématiques initiales de chacune, mais le manque de temps et d'effectif les ont contraintes à transformer leur projet en proposant une œuvre proche de l'installation vidéo avec des femmes face caméra illustrant différentes situations de violences... Si Stéphanie Régnier comprend la déception du groupe qui n'a pu aller au bout de son projet, elle explique : "C'est un film très fort, peut-être le plus expérimental de tous et je crois qu'elles n'assument pas tout à fait l'objet filmique car il épouse des formes auxquelles elles ne sont pas habituées."
Un des groupes ayant choisi de parler de la Covid a proposé une œuvre documentaire avec un travail autour de l'association de plans fixes et de sons. Ne tournant pas avec des acteurs, le groupe a été le moins impacté par l'épidémie et a bénéficié de plus de temps pour s'essayer à différents postes ou pour aller capter quelques plans en autonomie avec leur smartphone et un stabilisateur prêté par l'établissement.
Chistophe Cuelli, enseignant d'éducation socioculturelle, indique que ces expériences "sont pour les jeunes un moyen d'appréhender les réalités du monde professionnel car il faut faire des choix et s'adapter comme sur un vrai tournage."
C'était pour eux essentiel de parler du harcèlement car "parfois certaines personnes ne se rendent pas compte que ce qu'elles font pour rire c'est du harcèlement".
Pour un groupe qui travaillait sur la thématique du harcèlement, l'expérience a consisté à écrire et jouer "à la fois les rôles des harceleurs et des harcelés" et de "se mettre dans la peau de chacun", indique une des membres de l'équipe. C'était pour eux essentiel de parler du harcèlement car "parfois certaines personnes ne se rendent pas compte que ce qu'elles font pour rire c'est du harcèlement", affirme une élève pendant que sa camarade dit espérer que le film ouvrira le débat avec ceux qui le verront.
Une fois les films tournés, les élèves ont profité d'un atelier de sensibilisation au montage lors duquel Stéphanie Régnier a pu illustrer le travail d'écriture qui se fait à cette étape de fabrication du film en leur montrant plusieurs propositions de leurs projets.
Ces semaines de résidence ont été intenses pour tous car une heure d'étude, l'absence d'un enseignant et parfois même un peu de temps libre le soir (les élèves sont internes et Stéphanie Régnier était logée dans l'établissement) était l'occasion de mobiliser les jeunes. Quatre films ont donc été réalisés, les enseignants et l'artiste se disant satisfaits d'avoir "maintenu une ambition artistique et pédagogique tout en arrivant à des productions suffisamment abouties pour que les élèves soient fiers de leur travail".
Une première projection des films a eu lieu en classe. Une autre est prévue au cinéma Le Margot de Nérac le 12 mai 2022. Christophe Cuelli espère pouvoir prolonger le projet en exploitant les questions de diffusion et de réception des œuvres. Les films pourront être mis en ligne sur les réseaux sociaux ou envoyés à des festivals de films d'atelier. "Nous avons évoqué les questions de liberté d'interprétation que le réalisateur laisse aux spectateurs et les projections seront un bon moyen pour eux de voir comment leur proposition artistique est reçue et comprise", précise l'enseignant.
Ce projet lui tient à cœur parce qu'il rend "une parole citoyenne audible et permet aux jeunes, en cette période d'élections, et même s'ils ne peuvent pas encore voter, de faire entendre leurs voix". Pour Stéphanie Régnier, l'expérience lui a permis de prendre du recul sur sa pratique en expliquant son métier. C'était aussi l'occasion de mettre en perspective des connaissances qu'elle venait d'acquérir à la suite d'une formation en scénario.