Le lycée de La Tour Blanche, "lieu-dit/lieu-écrit"
L'autrice Chloé Baudry a été accueillie l'hiver dernier au lycée professionnel agricole de La Tour Blanche, à Bommes (33), dans le cadre du dispositif Résidences en territoire. Elle revient avec Prologue sur ces deux mois de résidence au cours desquels elle a initié les élèves à l'écriture en explorant leur environnement.
Sur quoi avez-vous travaillé avec les lycéens pendant ces deux mois de résidence ?
Chloé Baudry : Je travaille d'un point de vue personnel à l'écriture d'un récit autour du remembrement agricole en Sud-Vendée, entre documentaire et autobiographie. Ce projet se concentre sur l’écriture du lieu, de l’espace, du rapport entre les gens et l’endroit où ils habitent. L’idée de cette résidence a été de transposer mon travail et de partager aux élèves mon processus d’écriture autour de ce lieu qui leur appartient : le lycée de la Tour Blanche, qui est au cœur de chacun des ateliers d'écriture. L'écopoésie est une manière d’aborder l’espace sous un angle différent, poétique, en faisant par exemple un inventaire à la Pérec, mais aussi par un axe un peu plus imaginaire avec l’écriture de légendes. Nous avons également mené des balades sensibles, mêlant de la lecture et de l’écriture de paysages et intégrant tous les sens ressentis dans l’écriture. C’est une autre manière d'aborder le lieu, en tenant compte de tous les gestes, de tous les vocabulaires qui peuvent le sédimenter, et de voir comment tout peut devenir une matière pour écrire.
Afin de clore la résidence, nous avons rassemblé tous les textes travaillés avec les lycéens dans un livret imprimé. Cette restitution nous permet de disposer au même endroit de l'ensemble des écrits autour du lieu-dit La Tour Blanche, et d'en faire aussi un parcours à lire sur le lieu.
Pouvez-vous revenir sur le travail mené lors des balades sensibles et sur son appropriation par les élèves ?
C.B. : Nous nous sommes promenés avec une classe de troisième à l’extérieur du lycée. Nous avons déambulé en marquant des points d’arrêt à hauteur des points cardinaux. Les élèves devaient noter et ainsi prendre conscience de tout ce qui se déployait devant eux, devant leurs yeux, dans leurs oreilles. Cette balade en prise de notes n'appelait donc pas à une écriture très construite dans un premier temps. Une fois rentrés en classe, ils ont travaillé par groupe de quatre ou cinq à l'écriture d'un poème autour d'un des points cardinaux. Après ce travail en extérieur, nous leur avons demandé de rédiger un texte sur l’intérieur de la classe.
Ce parallèle les a amenés à prendre conscience de tout ce qui peut se jouer dans l’infime. Ils ont ainsi redécouvert un extérieur qu’ils connaissent pourtant bien en le regardant sous un autre angle et ont porté une attention aux petites choses dans la salle de classe, qu’ils fréquentent pourtant aussi très régulièrement. C’était important de les dépayser même dans des lieux qui leur sont très familiers.
Dans quelle mesure cette résidence a-t-elle pu nourrir votre travail personnel de création?
C.B. : J'ai commencé il y a un peu plus de deux ans un travail important de récolte d’archives, familiales et départementales, autour du remembrement agricole dans les années 1960. Je suis passée récemment à la phase d'écriture, qui a débuté par la retranscription des documents. C’est une écriture en parcelles, un travail étoilé, plein de fragments ouverts en même temps, qui vont venir s’assembler les uns avec les autres au fil de mon écriture.
Tous les échanges avec les élèves et l'équipe pédagogique m'ont été utiles. Je pense notamment à une séance avec une classe de première au cours de laquelle j'ai expliqué ma recherche et ce qu'est le remembrement agricole. Les lycéens – qui sont des lecteurs "difficiles" parce qu'ils ne connaissent pas le projet initial – ont fait des retours construits et agréables, ils m’ont permis de comprendre des choses que je n’arrivais pas à voir toute seule.
Chose inattendue au cours de cette résidence : le CDI a été une vraie mine d'informations puisqu'il renferme une riche documentation sur l’histoire du territoire et sa géologie. J'ai pu piocher des informations dans des documents très techniques, c’était une chance pour moi d’avoir toute cette matière à disposition.
Marina Courtabessis et Théo Michel, enseignants au lycée de La Tour Blanche, ont accompagné la résidence et les ateliers d'écriture menés par Chloé Baudry
Qu’est-ce que la résidence et la présence de Chloé Baudry ont apporté aux élèves et au programme pédagogique ?
Marina Courtabessis : La présence de Chloé et le programme de résidence ont permis de personnaliser les séances, de faire une rencontre avec une autrice et de pouvoir piocher des éléments pour aller beaucoup plus loin que ce qu’on aurait pu faire en séance classique.
Théo Michel : C'est tout de suite plus sympathique pour les élèves de rencontrer quelqu’un d’autre que le prof qu'ils voient tout au long de l’année. Qu'une artiste, avec son propre univers, vienne chez nous est un vrai plus pour le programme que l'on suit sur l’année, aussi bien pour les élèves en classe que pour tout le reste du lycée.
Le travail et l'énergie de Chloé ont renforcé notre motivation et nous ont permis d’aborder des sujets que nous n'aurions pas forcément explorés sans elle. Chloé nous a par exemple ouvert les portes de la poésie en rendant les textes plus accessibles aux élèves.
Qu'est-ce que les élèves retiennent de ces deux mois passés au contact de Chloé Baudry ?
M.C. : Les élèves ont très bien accueilli Chloé, d'autant que son travail les a particulièrement aidés lors des cours de français où ont été menés de nombreux ateliers d'écriture. Le fait de déclencher ce passage à l’écriture reste l’un des objectifs les plus difficiles pour un professeur et tout ce qu’elle a fait a vraiment aidé à l'atteindre.
T.M. : Comme l'équipe pédagogique, les élèves retiennent aussi les moments informels, au-delà du cadre du cours. Chloé a par exemple participé à des actions dans le cadre du club Musique. Un élève m'a dit un jour : " Chloé, elle n’est pas autrice, parce qu’elle est cool !". On a aussi réussi à casser totalement cette fausse image de l'auteur que peuvent avoir les jeunes.