Le monde contemporain, la nature et la poétique de Jean-Marc Fournier
Publié depuis 2016 aux Éditions des Vanneaux, Jean-Marc Fournier a fait paraître en juin un troisième recueil avec cet éditeur bordelais, Vertige et ferveur.
L’intitulé de vos deux recueils précédents est très parlant. Pourquoi ensuite Vertige et ferveur ?
Jean-Marc Fournier : Avec le premier recueil, Un peu de parole dans un âge de fer, je présentais une poésie tournée vers les problèmes du monde contemporain. Avec Un éclat de nuit sauve la lumière, paru en 2017, j’illustre encore l’idée que notre rapport au monde naturel, aux cycles diurnes et nocturnes et aux saisons, peut s'avérer existentiellement salvateur. Le dernier recueil est plus lié aux thématiques de l'érotisme, de la féminité, de la jouissance et de la manière dont elles aiguisent notre conscience de la mort. Il diffère des deux autres, car il en élargit la portée en intégrant des textes plus anciens en phase, je pense, avec mes textes récents.
Vous écrivez dans Vertige et ferveur : " Le meurtre appliqué des choses a tué l’analogie au profit de la Méduse borgne des concepts. " Quels sont à votre sens les grands maux du monde contemporain ?
J-M.F. : Le monde contemporain se signifie par son mépris du symbolique, sa conception purement utilitaire et aveugle du rationnel. Ceci ne débouche que sur un déracinement où le progrès matériel ne cesse de se retourner contre l'homme ou d'installer de nouvelles hégémonies potentiellement totalitaires, comme le tout-numérique et diverses autres technosciences. Les langages formels, la prééminence des mathématiques en sciences fondamentales et ailleurs, conjugués avec l'arrivée de l'outil informatique dans la plupart des secteurs d’activité, n'offrent pas un bénéfice certain en termes d’éthique et de progrès de l'humanité. L’usage excessif de la "modélisation" est porteur d'une possible déshumanisation très inquiétante. Le monde contemporain, par là même, est destructeur d'un vivant global qu'il ne perçoit ni ne symbolise plus.
Jean-Marc Fournier : Avec le premier recueil, Un peu de parole dans un âge de fer, je présentais une poésie tournée vers les problèmes du monde contemporain. Avec Un éclat de nuit sauve la lumière, paru en 2017, j’illustre encore l’idée que notre rapport au monde naturel, aux cycles diurnes et nocturnes et aux saisons, peut s'avérer existentiellement salvateur. Le dernier recueil est plus lié aux thématiques de l'érotisme, de la féminité, de la jouissance et de la manière dont elles aiguisent notre conscience de la mort. Il diffère des deux autres, car il en élargit la portée en intégrant des textes plus anciens en phase, je pense, avec mes textes récents.
Vous écrivez dans Vertige et ferveur : " Le meurtre appliqué des choses a tué l’analogie au profit de la Méduse borgne des concepts. " Quels sont à votre sens les grands maux du monde contemporain ?
J-M.F. : Le monde contemporain se signifie par son mépris du symbolique, sa conception purement utilitaire et aveugle du rationnel. Ceci ne débouche que sur un déracinement où le progrès matériel ne cesse de se retourner contre l'homme ou d'installer de nouvelles hégémonies potentiellement totalitaires, comme le tout-numérique et diverses autres technosciences. Les langages formels, la prééminence des mathématiques en sciences fondamentales et ailleurs, conjugués avec l'arrivée de l'outil informatique dans la plupart des secteurs d’activité, n'offrent pas un bénéfice certain en termes d’éthique et de progrès de l'humanité. L’usage excessif de la "modélisation" est porteur d'une possible déshumanisation très inquiétante. Le monde contemporain, par là même, est destructeur d'un vivant global qu'il ne perçoit ni ne symbolise plus.
Que peut la poésie contemporaine en réarticulant l’Être-au-monde avec le sens de la nature et des cycles naturels ?
J-M.F. : Le mouvement aveugle joint l'efficacité locale au manque d'un sens unifiant. En nous parlant de "l’institution imaginaire de la société", Cornelius Castoriadis n'a cessé de nous le montrer. Il a même écrit : "Nous ne sommes plus des cultures mais des économies." Sous couvert d'idéalisme ou de matérialisme post-platonicien, nous nous masquons plus ou moins à tout prix l'incertitude fondamentale quant à l’Être en devenir ou à l'univers tel que nous y vivons en vertu de notre capacité à la production symbolique et à celle du Savoir. En l'absence de véritable fondement rationnel des transcendances proposées par les religions et la métaphysique, il nous faut lutter contre l'hétéronomie, lutter pour une autonomie à faire ou à refaire totalement. Or ceci, étant une lutte pour l'avènement ou la renaissance d’un champ symbolique en péril dramatique, ne peut être en premier lieu à mon sens que le fait de la poésie — refuge peut-être ultime, parfois, du symbolique — et, à travers elle, de tout l'art méritant ce titre.
"Si la positivité même de l'entité féminine est souvent associée à l'obscurité et à la nuit par la culture, c’est peut-être parce qu’elle est synonyme d'une forme de liberté et d'une rationalité à demi forcloses par des interdits doctrinaires."
Un éclat de nuit sauve la lumière fait preuve d’une grande rigueur à la fois poétique et critique. Vertige et Ferveur recourt davantage à un éventail de thèmes symboliques codifiés par la tradition culturelle, dont ceux issus de l’alchimie mentionnée par votre préfacier : les métaphores de l'or, de l'épée, puis, sans doute sur un autre registre, la figure de plus en plus fréquente de l'oiseau dans les dernières sections. Quelle lecture avez-vous faite de Jung ?
J-M.F. : Il ne faut pas se méprendre sur ma référence à Jung. Elle n'a pour moi rien de dogmatique. Jung est souvent encore mal compris, en France surtout mais pas seulement, quand il parle d'inconscient collectif et d'archétype. Ayant tenté d’explorer à partir du freudisme un patrimoine mythologique commun à l'ensemble de l'humanité, il a contribué à notre compréhension du mythe et, pour qui veut le lire sous l’angle approprié, à celle de la pensée mythique. Sa méthode m'a aidé pour parler de la lutte avec l'ange dans Un éclat de nuit sauve la lumière, et pour ma déconstruction du mythe négatif d'Ève dans Vertige et Ferveur. Ce recueil est assez centré sur la lecture que l'on peut faire du mythe d'Adam et Ève. Par-delà les interprétations falsificatrices, le récit mythologique de La Genèse nous révèle une trahison d'Ève de la part d'Adam, trahison dont pourraient être tributaires l'image et le rôle à la fois subsidiaires et menaçants accordés traditionnellement à la femme. Si la positivité même de l'entité féminine est souvent associée à l'obscurité et à la nuit par la culture, c’est peut-être parce qu’elle est synonyme d'une forme de liberté et d'une rationalité à demi forcloses par des interdits doctrinaires.
En quoi vos trois recueils parus depuis 2016 forment-ils une trilogie ? Pour la dimension philosophique du propos, ne s’inspirent-ils pas tous des pré-socratiques autant que du mythe et de l’inconscient jungiens ?
J-M.F. : Il s'agit d'un ensemble comportant des liens, des différences et des ruptures. Le premier recueil est assez proche du style de François Cheng, ce qu’il a apprécié. Les suivants sont différents. Héraclite, traduit par Jean Brun, a écrit : "Les hommes dans leur sommeil travaillent et collaborent au devenir de l'univers." Les pré-socratiques sont à la base de notre pensée symbolique. La pensée et la démocratie grecques d'abord découlent d'eux, peut-être surtout d'Héraclite, extraordinairement actuel comme l'ont dit aussi bien Cornelius Castoriadis que René Char.
En quel sens prévoyez-vous de faire évoluer votre poétique ?
J-M.F. : Chaque fois que je relis René Char, je suis frappé par l’à-propos de son art des aphorismes. Présentement, cela m’emmène à délaisser un peu le vers libre et me donne un grand désir d’écrire de la poésie en prose, ce à quoi je m’emploie en vue de mes projets pour de prochains recueils.
J-M.F. : Il ne faut pas se méprendre sur ma référence à Jung. Elle n'a pour moi rien de dogmatique. Jung est souvent encore mal compris, en France surtout mais pas seulement, quand il parle d'inconscient collectif et d'archétype. Ayant tenté d’explorer à partir du freudisme un patrimoine mythologique commun à l'ensemble de l'humanité, il a contribué à notre compréhension du mythe et, pour qui veut le lire sous l’angle approprié, à celle de la pensée mythique. Sa méthode m'a aidé pour parler de la lutte avec l'ange dans Un éclat de nuit sauve la lumière, et pour ma déconstruction du mythe négatif d'Ève dans Vertige et Ferveur. Ce recueil est assez centré sur la lecture que l'on peut faire du mythe d'Adam et Ève. Par-delà les interprétations falsificatrices, le récit mythologique de La Genèse nous révèle une trahison d'Ève de la part d'Adam, trahison dont pourraient être tributaires l'image et le rôle à la fois subsidiaires et menaçants accordés traditionnellement à la femme. Si la positivité même de l'entité féminine est souvent associée à l'obscurité et à la nuit par la culture, c’est peut-être parce qu’elle est synonyme d'une forme de liberté et d'une rationalité à demi forcloses par des interdits doctrinaires.
En quoi vos trois recueils parus depuis 2016 forment-ils une trilogie ? Pour la dimension philosophique du propos, ne s’inspirent-ils pas tous des pré-socratiques autant que du mythe et de l’inconscient jungiens ?
J-M.F. : Il s'agit d'un ensemble comportant des liens, des différences et des ruptures. Le premier recueil est assez proche du style de François Cheng, ce qu’il a apprécié. Les suivants sont différents. Héraclite, traduit par Jean Brun, a écrit : "Les hommes dans leur sommeil travaillent et collaborent au devenir de l'univers." Les pré-socratiques sont à la base de notre pensée symbolique. La pensée et la démocratie grecques d'abord découlent d'eux, peut-être surtout d'Héraclite, extraordinairement actuel comme l'ont dit aussi bien Cornelius Castoriadis que René Char.
En quel sens prévoyez-vous de faire évoluer votre poétique ?
J-M.F. : Chaque fois que je relis René Char, je suis frappé par l’à-propos de son art des aphorismes. Présentement, cela m’emmène à délaisser un peu le vers libre et me donne un grand désir d’écrire de la poésie en prose, ce à quoi je m’emploie en vue de mes projets pour de prochains recueils.
André Paillaugue a fait des études de Lettres à Bordeaux et Paris. Il a été critique littéraire et critique d’art pour Spirit, Junkpage, les Cahiers de Critique de Poésie du Cipm. Il a pubilé aux Éditions de l’Attente et en revue : Ouste, Le Festin, Le Bord de l’Eau, les Cahiers Art & Science, L’intranquille, Espace(s)-CNES.