Les Courts Tirages, du dessin à l'objet d'art
Petite sœur de l'entreprise charentaise IGS-CP, spécialisée dans le traitement du texte et de l'image pour l'édition, la société Les Courts Tirages s'appuie sur cette expertise pour réaliser des tirages d'art d'une grande fidélité par rapport à l’œuvre originale. Couleurs lumineuses, grande qualité de la reproduction et durabilité de l'objet : les tirages réalisés reposent en grande partie sur la technique de la digigraphie. Cyril Béchemin détaille pour Prologue le fonctionnement et les développements du projet qu'il conduit.
Comment est né le projet des Courts Tirages ?
Cyril Béchemin : Notre métier principal, chez IGS-CP, c'est de faire des tirages pour les éditeurs, notamment dans le secteur de la bande dessinée ou de la jeunesse. On a donc l'habitude de numériser des originaux pour en faire des épreuves. Mais nous disposons aussi et surtout du matériel qui permet de faire des tirages d'art en dix couleurs, pour des éditeurs, selon la technique de la digigraphie.
Nos premières images ont été réalisées à la suite d'une rencontre avec l'auteur de bande dessinée Jean-Luc Loyer, que la digigraphie intéressait. Nous avons fait un essai avec lui, qui l'a convaincu, et cela nous a amenés à travailler avec les autres artistes de l'Atelier du Marquis : Turf, Mazan, Cécile Chicault, Isabelle Dethan nous ont donc rejoints, sur un projet autour des fables de La Fontaine, dont nous avons réalisé les tirages.
En parallèle, nous développions des collaboration avec certains éditeurs pour imprimer des tirages destinés à des expositions ou à présenter aux libraires. Ça leur a plu, puis d'autres professionnels, éditeurs ou auteurs, nous ont demandé ce type de tirages.
Y a-t-il un désir de créer un revenu alternatif au livre pour les illustrateurs ?
C.B. : Oui, c'est une source de revenus supplémentaires, en effet, selon deux cas de figure. Soit on contractualise avec des éditeurs, par exemple dans le cadre d'ouvrages de bande dessinée qui ont été édités : pour l'auteur, cela rentre dans le cadre du droit dérivé, au titre duquel il sera rémunéré. Sinon, on contractualise directement avec l'auteur quand il détient ses droits sur les images.
L'entreprise des Courts Tirages a ce rôle d'éditeur d'images, mais aussi de commercialisation. Les auteurs peuvent acquérir une dizaine d'images et les vendre eux-mêmes, via des plateformes en ligne par exemple. Mais s'ils ne peuvent ou ne souhaitent pas distribuer eux-mêmes leurs tirages, on en acquiert les droits et on les rémunère sur les ventes.
"L'entreprise des Courts Tirages a ce rôle d'éditeur d'images, mais aussi de commercialisation. "
L'auteur a donc la main sur le modèle économique ?
C.B. : Oui, tout à fait. Par ailleurs, ce sont des tirages qui sont chers à produire. La digigraphie répond à une charte où il faut imprimer en dix couleurs. On ne peut pas faire d'économies d'échelle comme en risographie ou sérigraphie. Nous utilisons aussi des papiers assez coûteux, d'une durée de vie d'une soixante d'années d'exposition en intérieur.
Les œuvres imprimées étant toutes très différentes, le travail demandé pour chaque impression est-il adapté aux spécificités de chacune ?
C.B. : Il y a eu le cas de The Shooting Star, l'affiche réalisée par Charles Burns pour le festival d'Angoulême, où il y avait beaucoup de noirs. Avec la digigraphie, les noirs peuvent être très denses et très purs, mais ils sont plus difficiles à fixer, donc nous avons été attentifs à cette question. Sinon, il n'y a pas de difficulté particulière.
Les contraintes techniques de la digigraphie font-elles qu'il existe des illustrations que vous ne pouvez pas imprimer, ou pour lesquelles une autre technique serait plus adaptée ?
C.B. : Si la digigraphie a un spectre colorimétrique plus large que la quadrichromie, puisqu'on imprime en dix couleurs, il y a toutefois des tons directs qu'on ne pourra pas reproduire. Par exemple, un orange fluo va être considéré, en quadrichromie, comme une cinquième couleur, car on ne peut pas le reproduire par un mélange de cyan-jaune-magenta-noir. Certaines de ces couleurs, qui ont une référence précise et qu'on nomme des tons directs, ne sont pas non plus reproductibles en digigraphie. La sérigraphie sera alors plus adaptée.
À l'inverse, sur des images avec beaucoup de couleurs, la sérigraphie demandera beaucoup de passages et ne sera pas forcément adaptée. Ce sont des techniques complémentaires, c'est pourquoi nous commençons justement à travailler avec des sérigraphes.
Comment se déroule la collaboration avec les artistes ?
C.B. : Nous travaillons soit depuis un original, soit depuis une version numérisée par l'artiste. Ensuite se pose la question du papier : nous proposons différents papiers, texturés, plus ou moins blancs, ou de nouveaux types de papiers naturels qui arrivent sur le marché actuellement. Tout cela est discuté avec l'auteur, à qui nous présentons ensuite les premiers essais, à l'occasion d'un rendez-vous ou via un envoi postal. Quand tout est validé, l'image part en reproduction.
"Si nous avons des auteurs connus au catalogue, dont les images se vendent facilement en ligne par un effet de collection, nous soutenons aussi des jeunes artistes, dont il faut pouvoir montrer le travail."
Vous avez organisé en février un vernissage dans la Cité de la bande dessinée d'Angoulême. Allez-vous renouveler ce type d'événements ?
C.B. : Tout à fait. Nous devions être présents sur différents salons, en avril, annulés à cause de l'épidémie. Nous vendons depuis notre site web, certes, mais les expositions permettent de montrer le rendu réel des images. Et si nous avons des auteurs connus au catalogue, dont les images se vendent facilement en ligne par un effet de collection, nous soutenons aussi des jeunes artistes, dont il faut pouvoir montrer le travail.
Les Courts Tirages ont officiellement débuté leur activité au mois de novembre : c'est tout nouveau, mais nous avons un catalogue assez fourni. L'objectif, maintenant, c'est de pouvoir le présenter au public.
Quels sont les prochains artistes avec qui vous allez collaborer ?
C.B. : Là, nous venons d'éditer des illustrations de Zoé Sauvage, qui est une jeune auteure en résidence à la Maison des auteurs, et qui a un projet de bande dessinée. Nous avons aussi récemment contacté Doriane Millet, une illustratrice qui est basée à Marseille, et Lauranne Quentric à Bordeaux. Il y a aussi des auteurs avec qui nous travaillons régulièrement, comme Alfred, qui a beaucoup de talent et qui est très ouvert aux expérimentations.