Muriel Douru ou comment en finir avec les histoires à dormir debout
En 2017, un journaliste du magazine Têtu décrit ainsi l’illustratrice Muriel Douru: "Elle milite, s’indigne, propose, réfléchit et renouvelle sans cesse son appel à plus de solidarité et de conscience". Ce fil d’Ariane qui guide sa vie et ses projets de dessinatrice lui vaut de recevoir en 2018, le prestigieux Out d’or du dessin engagé pour Chroniques d'une citoyenne engagée paru aux éditions Hugo image. C’est d’ailleurs sur ses albums qu’elle s’appuie depuis vingt ans, pour animer des ateliers réguliers avec les scolaires, les questionnant sur l’environnement, le monde du vivant, le genre, etc. De retour de six semaines de résidence au lycée Edmond-Perrier de Tulle (19), elle est encore stupéfaite de la qualité des mini BD produites par les 300 élèves avec qui elle a travaillé ; tant, dit-elle, "ils sont curieux du monde qui les entourent et très alertes sur leurs désirs de changements".
Née en 1976 et d’abord formée à l’école supérieure des arts appliqués Duperré à Paris, Muriel Douru a commencé par dessiner pour l’illustration textile avant de se tourner vers l’illustration et la bande dessinée. Les convictions de la future autrice sont déjà présentes dans le choix d’intégrer cette école qui symbolise toujours les choix de sa fondatrice, Élisa Lemonnier qui l’a ouverte en 1864, pour rompre avec l’invisibilité des femmes dans les arts appliqués et dans l’enseignement professionnel.
Depuis, membre du Collectif des (250) créatrices de bande dessinée contre le sexisme1, créé en 2015 pour lutter contre les inégalités de genre dans l'édition de bande dessinée, Muriel Douru poursuit en même temps sa défense du vivant dans chacun de ses six albums et bandes dessinées2 à travers les droits des personnes LGBTI+, le féminisme, la PMA ou la cause écologique, la protection de la flore et de la faune…
Quelle a été votre proposition d’atelier pour le lycée Edmond-Perrier de Tulle ? Et que souhaitiez-vous réaliser avec ces élèves ?
Muriel Douru : Ce que je leur ai proposé est un atelier de mini BD documentaires, en précisant que les élèves n’ont pas besoin d’avoir des compétences en dessin pour y participer. L’idée c’est de mettre au service de leur créativité, une réflexion sur les questions de société qui les concernent tout particulièrement, la famille, le genre, l’environnement, l’avenir.
En découpant la résidence en trois sessions de 15 jours (du 9 au 20 janvier ; du 20 février au 3 mars ; du 24 avril au 5 mai), j’ai pu travailler au moins trois fois avec chaque classe de tous les niveaux, des secondes, des premières, des terminales, y compris des groupes hétérogènes, comme celui de la Ligue de protection des oiseaux constitué par un des professeurs ou encore ceux des écodélégués, une formation d’élèves censés se préoccuper de ces questions au sein des établissements.
Pour que chaque classe parvienne, en si peu de temps, à aboutir à une mini BD, vous devez proposer un process bien établi ?
M.D : En effet (rires) ! Le format de six semaines fonctionne parfaitement pour ce projet car je le découpe justement en trois phases : un premier temps de 2h est consacré à un échange avec les élèves, sous forme de discussions choisies avec les enseignants autour de thématiques environnementales (de la prédation aux impacts : la déforestation, les feux de forêts, la sécheresse…) ou sur des questions plus personnelles (la composition de la famille, la place du genre dans leur vie…).
Dans un deuxième temps, à partir des faits réels qu’ils racontent, on détermine ensemble leur projet. Ils doivent le traiter comme une petite fiction documentaire (ex : l’un d’eux a imaginé la société en 2050 avec une présidente de l’Univers et tout ce qu’elle modifie). Je tiens beaucoup à ce que ce soit un travail individuel pour laisser émerger leur interprétation et vision personnelles.
On entre ensuite dans la troisième phase, celle de l’atelier BD proprement dit : la réalisation d’un maximum de trois planches. Ils commencent par la phase d’écriture (rédaction du scénario, correction) puis ils passent au dessin (mise en croquis) et au montage en story-board (découpage du récit en cases illustrées) jusqu’à la finalisation (colorisation, collage, etc.). Ils doivent dépasser la question de savoir ou non dessiner car ça peut être sommaire et plusieurs moyens sont mis à leur disposition y compris des tutoriels issus d’internet ; ce qui compte c’est le message.
Il faut d’ailleurs savoir que ces dernières années, les sujets le plus souvent représentés par cette tranche d’âge concernent leurs différences, celles entre les filles et les garçons, mais avec une distinction de traitement assez nette : les filles proposent presque toujours des sujets empiriques, issus de leur vécu (le harcèlement, les agressions, etc.) alors que les garçons s’emparent, eux, de sujets plutôt théoriques (le rééquilibrage des relations entre hommes et femmes, celui des différences salariales, etc.)…
À l’issue de ces ateliers, vous avez participé à la présentation de la restitution sous forme d’une exposition au CDI du lycée…
M.D : Oui et c’est assez rare car en général, je suis déjà partie quand vient le temps de l’aboutissement. Là, l’exposition était prévue la veille de mon départ, le jeudi 4 mai. On a pu exposer plus de 300 mini BD et j’ai donc participé à la présentation officielle avec le directeur, les enseignants et les élèves et voir leur joie et leur fierté.
J’ai l’habitude de découvrir dans les écoles, deux ou trois réalisations très pertinentes par ateliers. Là, à Tulle, presque toutes étaient de très bons niveaux de réflexion et de réalisation. Si cet atelier a très bien fonctionné avec toutes les classes de ce lycée, c’est surtout lié au fait que dès le début de la résidence, j’ai été bien accueillie et accompagnée par les deux professeures documentalistes référentes, Marie Rochais et Stéphanie Alexandre, qui ont permis ma bonne intégration et une bonne préparation avec les équipes pédagogiques et, de fait, l’atelier était très attendu dans les classes.
L’enthousiasme et l’engagement de tous comptent beaucoup lorsqu’on arrive dans un établissement, surtout quand on aborde des sujets de réflexion aussi difficiles car encore très controversés. Le monde n’est plus linéaire et les jeunes le savent. Il faut juste les rassurer et les accompagner pour qu’ils soient dans l’acceptation, plutôt que dans le refus et le rejet qui créent de l’isolement et de la violence improductifs. Pour avancer, on a besoin d’être tous ensemble et de s’écouter. C’est ce que j’essaie de créer dans ces ateliers et, là, à Tulle, ça a parfaitement fonctionné.
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2 : Dis… Mamans (éd. gaies et lesbiennes, 2003) ; Un mariage vraiment gai (éd. gaies et lesbiennes, 2004) ; Cristelle et Crioline (KTM éd., 2011) ; Deux mamans & un bébé (KTM éd., 2011) ; L'arc-en-ciel des familles (éd. Des ailes sur un tracteur, 2014) ; Beyond the lipstick : chroniques d'un coming out (éd. Marabout, 2016).
(Photo : Centre international de poésie Marseille)