"Se raconter" par l'écriture et la photographie
Le lycée Nicolas-Brémontier de Bordeaux a accueilli de janvier à mars 2022 l'autrice de bande dessinée et réalisatrice Mélanie Trugeon dans le cadre des résidences de médiation artistique que proposent ALCA, Résidences en territoire. Dans ce projet intitulé Nos terres intimes, l'artiste a invité des élèves de seconde, une classe de générale et une classe de l'UPE2A1 regroupant des allophones arrivants, à "se raconter" par la photographie et l'écriture en questionnant leur identité et leurs héritages culturels.
La première rencontre avec les élèves s'est faite autour de la projection d'un documentaire de Mélanie Trugeon, Kubra2, à l'auditorium de la MÉCA, en présence de l'équipe du film. Kubra relate l'histoire de l'artiste syrienne éponyme réfugiée à Paris. "Ce personnage est intéressant à rencontrer pour les élèves car son travail de performeuse est très fort, et elle a fait un voyage souvent très dur avant d'essayer de s'inscrire sur le territoire français à travers sa discipline", indique Mélanie Trugeon. À l'issue de la projection, chaque élève a été invité à écrire sur un post-it son ressenti face au film leur permettant ainsi de partager les points de vue en dépassant les barrières de la langue ou de la prise de parole en public.
Ils ont travaillé à partir de photos de paysages qu'ils avaient apportées et ont imaginé des récits en collectif. "C'était important que les jeunes fassent groupe pour mélanger les histoires et les ressentis", souligne l'artiste. Puis, pour se recentrer sur le thème de l'intime, chaque élève a apporté un objet personnel et a réfléchi à une mise en scène pour le photographier grâce aux notions qu'Aude Vallenet, enseignante de français impliquée dans le projet, avait abordées en amont lors du cours.
Est ensuite venu le temps de l'écriture où chacun s'est mis à la place de son objet pour raconter son histoire : une invitation à explorer l'intime, évoquer sa famille et ses souvenirs dans le but d'entremêler l'individuel et le culturel. "La recherche d'identité, on est en plein dans ça avec l'adolescence, on réfléchit à nos ressemblances avec notre famille par exemple, c'est pour ça que le projet est intéressant", raconte Élisa, en seconde générale. Les objets apportés, d'une statue du Burkina Faso transmise de génération en génération à des gants d'escrime témoignant d'une passion familiale, ont permis aux jeunes de mieux se connaître et de créer du lien. Mélanie Trugeon s'est, elle aussi, prêtée au jeu en apportant une écorce d'arbre en forme de buste, témoignant ainsi de son intérêt dans son travail pour les questions de représentation des corps : "Je voulais partager un récit avec eux, parler du corset et du corps des femmes et évoquer mon expérience personnelle quand j'étais au lycée, et du sentiment d'oppression que l'on peut ressentir notamment à cet âge-là."
Ramila, élève de l'UPE2A, a apprécié de pouvoir écrire dans la langue de son choix : "J'ai écrit en portugais, car je suis brésilienne et je trouve la langue très belle, mais aussi en français, puisque maintenant je suis ici. J'ai aussi mélangé un peu d'espagnol que j'aime bien et l'anglais car je crois que tout le monde peut le comprendre". Cette liberté est essentielle pour l'équipe pédagogique qui veut inviter les élèves à bâtir des ponts entre leur terre et leur culture d'origine et leur vie d'aujourd'hui.
Le projet sera présenté dans le cadre du Nouveau Festival, événement organisé par la Région Nouvelle-Aquitaine les 11 et 12 mai 2022 au Rocher de Palmer à Cenon (33), qui invite les jeunes à mettre en avant leur talent et leur pratique artistique, culturelle et scientifique.
La dernière étape du projet consistera à fabriquer un carnet qui regroupera l'ensemble des travaux des jeunes : leurs textes et leurs photographies. Un travail de mise en page et de calligraphie sera fait par les élèves et permettra de donner de la place à toutes les langues. Le projet sera présenté dans le cadre du Nouveau Festival, événement organisé par la Région Nouvelle-Aquitaine les 11 et 12 mai 2022 au Rocher de Palmer à Cenon (33), qui invite les jeunes à mettre en avant leur talent et leur pratique artistique, culturelle et scientifique. Une sélection du carnet sera déployée en grand format et invitera à découvrir ces histoires de vie en faisant dialoguer photo et récit. Un temps de présentation ou d'exposition est aussi envisagé au sein du lycée.
L'intérêt de ces projets artistiques est vivement défendu par l'équipe pédagogique car ils permettent un autre rapport entre l'enseignant et l'élève. L'équipe aurait souhaité explorer encore d'autres pistes, revenir sur le documentaire visionné ou travailler davantage la question du corps mais ils ont essayé de tenir compte des motivations des élèves : "C'est aussi ce que permet le temps dans une résidence, évoque un enseignant d'histoire impliqué dans le projet, on propose des choses, on voit leur réaction et on réajuste". Chaque session du projet a été coconstruit entre les enseignants et l'autrice : "L'artiste arrive son expérience et son désir de transmettre et nous, on assure le pôle didactique, on affine les activités et on rend les consignes intelligibles pour tous", explique l'enseignante de français. Tous se réjouissent d'avoir vu certains élèves, peu à l'aise avec l'écriture, composer des récits très intéressants. Enfin, Aude Vallenet rappelle comment il est essentiel pour les élèves de rencontrer des professionnels : "Il faut leur dire, alors qu'on leur demande aujourd'hui de réfléchir à leur orientation, qu'ils peuvent aller vers des métiers artistiques qu'ils ne s'autorisent pas toujours et aussi que l'on peut arriver à la création artistique par des chemins détournés".