Au chalet de la sérendipité


Au petit matin, dans le bleu nuit américain, un brouillard voile le réveil d’un monde vibrant. Le passage de biches inaugure les temps précieux de l’errance créatrice. Tel un conte philosophique, notre séjour a débuté dans une chambre mansardée. De la fenêtre donnant à l'est, les frondaisons jaunies des arbres nous offraient un aperçu singulier du parc, perché du haut des cimes. Comme toute histoire, un événement inattendu nous a confrontés à une question déterminante pour le cours des prochaines semaines. Au café des ouvriers de Saint-Symphorien, buvant un verre pour le départ de Julie Escoriza, artiste illustratrice, la voix craquelante du poste de radio annonce un deuxième confinement. La résidence au sein du Chalet Mauriac était sous le joug d’une interruption nette et claire. Au lendemain, à notre grande surprise, Aimée Ardouin et l’équipe d'ALCA décidèrent de garder le Chalet ouvert aux désireux d’y séjourner. Nous fûmes enthousiasmés par le revirement de situation. Lilian et moi savions alors que notre présence dans ces espaces si bien restaurés serait une expérience inspirante. Un soir de la semaine suivante, nous avons eu le plaisir de recevoir les premières résidentes de long terme. Baptisé à ce jour Evernia, le duo fut la rencontre miroir du travail en binôme. Leur dynamique tournait autour de la science et des arts plastiques, alors que nous étions dans l’écriture et le dessin. Il était intéressant d’observer la délicate évolution dans les prémices d’une collaboration. On se découvre beaucoup dans le prisme de l’autre. Les tâtonnements de nos travaux respectifs furent l’expression d’une intention similaire ; trouver une cohésion, une symbiose intelligente. Ce qui explique leur axe de curiosité, le lichen, mi-algue mi-champignon.
De notre côté, nous avons consolidé notre dynamique de travail au sein même du récit. À chaque début de projet, Lilian part avec des outils nouveaux ou anciens afin de les interroger sur leur potentiel plastique et narratif. La peinture gouache et le Bic bleu ont su exprimer le mieux le trouble recherché pour manifester certaines émotions du texte. Les balades dans le parc furent à quelques reprises l’expérimentation de peinture "sur le motif". Les résultats lui ont fait comprendre la complexité de cette routine de travail attachée aux impressionnistes et renforce maintenant son admiration envers les personnages historiques du scénario. Pour ma part, les conversations avec Isabelle Andreani furent très révélatrices de mes interrogations concernant les notions de désir et de deuil dans le travail d'écriture. Écouter sans perdre une miette, le regard si sensible de Lakhdar Tati sur le cinéma et l’importance du son, transforma par endroit nos perceptions de l’image et de découpage scénaristique. Un équilibre entre les zones de plein et de vide de chaque case devait être estimé dans le but de révéler les tensions émotionnelles et existentielles développées dans l’histoire. Un projet de bande dessinée nécessite ce caractère de solidité par le trait, la couleur et la narration. La symbiose doit s’exprimer sur les planches et cela demandait d’explorer des zones inconnues de chacune de nos pratiques.
"La maison de Madame Mauriac est remarquable pour ce chassé-croisé des différentes disciplines. Ses volumes offrent une considération à la mesure de chaque invité(e)."
Sortir de sa zone de confort lors d’un confinement paraît, avec le recul, une étrange recherche. Mais la maison de Madame Mauriac est remarquable pour ce chassé-croisé des différentes disciplines. Ses volumes offrent une considération à la mesure de chaque invité(e). Aucun sentiment d'empiètement ne peut être ressenti en ces lieux intérieurs comme extérieurs. Ce fût déterminant pour faire oublier les circonstances du confinement. Nous avons petit à petit recomposé une connexion très familiale entre les résidents, certainement par le biais de nos routines qui convergeaient un moment ou un autre autour de la table à manger. Ces moments tout aussi cruciaux que les temps, plongés dans la lecture, l'écriture ou le dessin, ont su à chaque conversation nous nourrir en substance mais surtout en créativité. Ces échanges semblaient fortifier temps après temps les différentes étapes de recherche, parfois inconfortables, afin de dégager, dans la confiance et l'engouement, une trame d’histoire, un axe de travail, une décision de poursuivre ou non une direction. Les fragilités de début de création ont besoin d’un cocon validant ce désir de projet. L’effort encouru pour s’extirper des sentiers balisés de la production artistique est à même dès lors qu’un sentiment d'appartenance se forge.
Pendant cette pérégrination à huis clos, là où on ne regardait pas, là où nous n’avions pas prévu ou anticipé la conjoncture ; une pépite fût trouvée. C'est le type de perle que l’on a conservé dans sa poche sans savoir pourquoi, alors qu’elle ne ressemblait qu’à un banal caillou. Mais lorsque l’on porte à nouveau son regard sur cet objet-ancre alors que l’étirement du temps entre deux instants nous a légèrement changés, que cette pierre donne son nom : l’impact de la rencontre. Et c’est avec cette richesse que nous avons quitté le chalet de la sérendipité.
Laurie Jolley