Hugo Paviot : faire démocratie par l’écriture


Hugo Paviot est un habitué des résidences d’écriture et de médiation. Auteur, metteur en scène et traducteur, cet homme de lettres et de théâtre croit au rôle social des écrivains et défend leur implication dans la vie de la cité par l’incitation au dialogue. Transmettre et faire démocratie par la construction d’une œuvre partagée est ce qu’il a, une fois de plus, expérimenté au printemps 2025 au sein du lycée professionnel Paul Broca, à Sainte-Foy-la-Grande, en Gironde, dans le cadre du dispositif Résidence en territoire porté par ALCA.
Les Oiseaux rares, premier roman d’Hugo Paviot, est inspiré d’une résidence de médiation au long cours dans un microlycée de Vitry-sur-Seine avec des élèves dits "décrocheurs". Une problématique qu’Angélique Pouteil-Noble connaît bien en tant qu’enseignante de français au lycée Paul Broca. Attirée par la thématique de ce livre, elle a aussi choisi Hugo Paviot pour intervenir dans sa classe car il est d’abord auteur de théâtre et metteur en scène. À ce titre, son profil répondait pour le mieux aux objectifs pédagogiques de l’enseignante. Dire, lire et se faire entendre, dépasser la peur de l’oral font partie des objets d’études du programme de seconde en lycée professionnel. Et ce d’autant plus pour les élèves d’Angélique qui se destinent tous à une carrière commerciale. "Hugo a su approcher les jeunes et les entraîner avec lui", confie-t-elle, illustrant son propos en évoquant le retour en classe de deux élèves décrocheurs motivés par les ateliers d’écritures proposés par l’auteur. Comment Hugo Paviot s’y prend-il pour capter ainsi l’attention des jeunes ? Sur quelles thématiques les entraîne-t-il et par quels moyens ? Hugo Paviot nous explique son approche et l’importance qu’il accorde à son rôle d’écrivain-transmetteur.
Quel était votre projet initial pour cette résidence au sein du lycée Paul Broca et comment s’articulait-il avec votre travail d’écriture en cours ?
Hugo Paviot : Je réfléchis actuellement à une idée de roman. La thématique évoquera l’exil forcé, avec un personnage principal qui établira un parallèle entre son lieu de départ et son lieu d’arrivée, la France. J’ai eu envie de faire travailler les élèves sur cette base : choisir des personnages qui partent de quelque part pour arriver à un autre endroit. Les thématiques abordées étaient assez générales : l’exil, la paix, la frontière, la démocratie, etc. Ce sont des sujets qui me tiennent particulièrement à cœur en raison du climat actuel, de cette géopolitique face à laquelle les argumentaires sont assez clivés, notamment chez les jeunes à travers les réseaux sociaux. C’est une génération Covid avec des adolescents qui ont beaucoup été laissés sur leurs écrans. Il me semblait très important de faire démocratie par l’écriture de groupe et par les thèmes traités.
Comment organisez-vous vos ateliers ?
Hugo Paviot : Lors de la première séance, je commence toujours par présenter mon métier. J’explique aux élèves comment travaille un auteur, comment se construit un livre ou un spectacle, au niveau de l’écriture mais aussi économiquement, pour que tout cela devienne un peu plus concret pour eux. Je présente ensuite les thématiques sur lesquelles j’écris. Au commencement de cette résidence, nous avons aussi échangé au sujet de mon roman Les Oiseaux rares, que les lycéens devaient lire avant mon arrivée. Certains d’entre eux ont beaucoup réagi, car c’est un texte qui parle entre autres de la guerre d’Algérie, du métissage, et plusieurs élèves se sont sentis concernés. Ces conversations ont été une accroche importante par rapport aux thématiques que l’on a travaillées ensemble.
Ensuite, les élèves écrivent en petits groupes et j’alterne des séances d’écriture et des séances d’oralité face au reste de la classe. Chaque groupe vient d’abord présenter son idée devant les autres, qui font public et réagissent. Ainsi, tout le monde s’approprie un peu l’ensemble des textes. Puis on passe à la rédaction des dialogues, qu’ils interprètent, réécrivent, et on avance comme cela jusqu’au résultat final.
Avez-vous fait évoluer ce projet au fur et à mesure de son déroulement en vous adaptant aux élèves et aux circonstances ?
Hugo Paviot : Je savais qu’il fallait accrocher ces adolescents avec beaucoup d’énergie. L’essentiel, pour moi, c’est que les idées partent d’eux. Même si je donne des thématiques structurantes, des contraintes, les jeunes s’en servent pour parler d’eux, de leurs problématiques, de leur âge, de leur époque. Au fil des ateliers, le nombre d’élèves fluctuait, il fallait donc s’adapter et le meilleur moyen pour ce faire, d’expérience, c’est que chaque projet d’écriture n’appartienne pas uniquement au groupe qui l’a écrit. Chacun donnait régulièrement des idées sur les textes des autres et cette implication de tous permet de pallier cet aléa. Mon objectif n’est pas, avec ce type de public, de les persuader de l’intérêt de la culture, mais plutôt de les convaincre en faisant, en éprouvant par l’écriture, par le jeu, des sensations, des émotions qui vont leur donner envie de s’y intéresser un peu plus. Quand je vois certains sourires, ou lorsque des élèves habituellement absents tout à coup sont là, ou quand un jeune qui parle peu se précipite pour aller lire son texte devant les autres, je me dis que c’est réussi…
Ce projet a-t-il modifié les relations entre les élèves ?
Hugo Paviot : Je pense que oui, pour certains en tout cas. Ils ont développé une capacité d’écoute de grande qualité. Ce qui m’importe vraiment – car c’est l’âge du jugement, de la timidité, de l’importance d’appartenir à tel ou tel groupe –, c’est d’insister sur le fait qu’aucun texte n’est meilleur qu’un autre. L’essentiel, c’est de commencer quelque chose et d’aller au bout. À chaque fois qu’une saynète était finie, j’ai vu le respect s’instaurer chez ceux qui n’y croyaient pas.
Quelle sorte de relation avez-vous pu créer entre vous et les élèves ?
Hugo Paviot : Une forme de respect mutuel. J’essaie toujours de ne pas me mettre sur un piédestal, d’être accessible, le plus possible, de montrer que je fais un métier comme les autres. Et je suis très exigeant avec eux. Je les considère comme des auteurs, au même titre que moi. J’ai une expérience à leur transmettre, mais je n’ai pas un savoir. Je cherche en permanence à remettre en question ma façon de faire et je pense qu’ils s’en rendent compte. Cette expérience leur a sans doute permis d’avoir une vue de l’auteur moins sacralisée et de comprendre, je l’espère, que tout ce que l’on a expérimenté – la prise de parole en public, le jeu, l’interprétation… – leur servira à divers moments de leur vie. L’importance d’un atelier d’écriture va bien au-delà de l’aspect artistique.
Vous avez employé le verbe "transmettre" : quelle valeur accordez-vous à cette notion de transmission, qui traverse à la fois votre travail de création et vos projets en tant qu’auteur intervenant dans différents milieux ?
Hugo Paviot : Je pense que la transmission est essentielle et qu’il en existe une infinité : celle qui vient de la famille, qui nous est imposée ; celle que l’on choisit, notamment à travers ses amis ; et la transmission de soi à soi, selon les périodes de la vie. Pour ces élèves, leur avenir est déjà tout tracé. J’essaie de leur montrer que ce n’est pas vrai. Ils peuvent s’interroger et ne pas envisager leur futur comme quelque chose de figé. La transmission est un mouvement, elle est permanente. Je cherche à leur communiquer une expérience, une émotion et à les inciter à en trouver le sens. L’important est qu’ils parlent des sujets qui peuvent être problématiques pour eux. Cela ouvre une boîte et j’espère qu’ils vont l’explorer. Pour moi, un des grands enjeux de la médiation culturelle, c’est d’essayer d’ouvrir ces boîtes et qu’ils aient envie d’aller regarder ce qu’il y a dedans.
En quoi ces expériences, notamment en milieu scolaire, nourrissent-elles votre propre écriture ?
Hugo Paviot : Je pense que la transmission est toujours dans les deux sens. J’apprends beaucoup des élèves. Ces projets me permettent de rester au contact de la jeunesse, de voir comment elle évolue, d’appréhender ses préoccupations et de ne pas être simplement avec les quinquas dans mon milieu social. J’apprends à les connaître et à travers eux, à voir comment la société évolue. Certaines attitudes, des remarques d’élèves, des échanges ou des textes qu’ils ont écrits m’inspirent parfois. Mais j’intègre surtout dans mon écriture les territoires dans lesquels je travaille. Ils sont toujours un personnage à part entière.
Vous vous dites "écrivain dans la cité" : pourriez-vous expliquer ce que vous entendez par là ?
Hugo Paviot : Un auteur, de mon point de vue, doit avoir un rôle de médiateur dans la société. Il est un déclencheur de dialogue. Je ne dis pas qu’il amène des réponses, ce n’est pas l’enjeu, il n’est pas là pour enseigner. Je trouve qu’il est très important de le désacraliser et pour ce faire, il doit être au milieu des gens. C’est pour cela que j’accorde énormément d’importance aux résidences d’écriture, qu’elles soient de création ou de médiation, parce qu’il est essentiel, pour moi, que l’on considère le rôle social de l’auteur. Dans nos sociétés de plus en plus mercantiles, mondialisées, les financements des projets culturels fondent comme peau de chagrin et c’est bien la preuve qu’ils sont fondamentaux, car ils remuent quelque chose dont on n’a pas forcément envie. Il est très important que les gens s’expriment aussi de façon émotionnelle.
Quel souvenir garderez-vous de ce projet ?
Hugo Paviot : Un souvenir très positif. Je suis heureux des échanges que nous avons eus, j’ai vu beaucoup de sourires, des jeunes qui, sans exception, ont tous écrit. Je repars avec l’idée qu’ils ont fait cet effort et qu’ils se sont surpris à y parvenir, avec beaucoup d’énergie.
S’ils ne se rendent pas forcément compte sur le moment des bénéfices qu’apporte ce genre d’expérience, ce n’est pas grave. Il ne faut pas juger l’efficience d’un projet de médiation dans l’immédiateté. Je sais, par certains regards, certaines connivences, que des fenêtres se sont ouvertes et que cela portera certainement ses fruits plus tard…