Hervé Brunaux, de la poésie visuelle et sonore au roman historique
Poète, romancier, journaliste, cheville ouvrière depuis 2002 du Festival Expoésie à Périgueux, Hervé Brunaux publie un cinquième roman, Au plus cher de nos vies, après De l’or et des sardines paru en 2013. Avec ce nouvel ouvrage, il explore l’histoire de l’eau lourde et celle du couple Joliot-Curie sur fond de Seconde Guerre mondiale.
Vous commencez votre carrière d’écrivain et d’artiste en publiant quelque huit livres de poésie entre 1997 et 2002, et en participant à des disques avec le groupe de punk-rock "Séminoles". Puis, entre 2003 et 2013, vous publiez quatre romans. Comment expliquez-vous ce parcours ?
Hervé Brunaux : Dans mon esprit, tout se tient, c’est juste la créativité qui revêt une forme différente à un moment particulier. Ce n’est pas une affaire de chronologie, j’ai toujours tout fait en même temps. J’ai écrit mon premier roman à vingt-deux ans, mais il n’a jamais été publié. Le temps du rock est plus immédiat, avec mon groupe nous avons enregistré des morceaux avant que je trouve un éditeur de poésie. Mon activité proprement poétique était moins visible, mais elle existait tout autant.
En 1997, vous fondez une revue de poésie annuelle, Ouste, puis en 2002 vous lancez le Festival Expoésie, qui a eu un large rayonnement au-delà de la Dordogne, sinon international, et qui continue à avoir lieu tous les ans à Périgueux. Pouvez-vous nous parler de cette belle aventure ?
H.B. : La revue Ouste (sous-titrée "création et exagération"), c’est d’abord une histoire de réaction contre certains milieux, ou certaines publications de poésie, trop fades et compassés à l’époque. J’avais envie, avec mes acolytes poètes explosifs d’alors, de tout envoyer balader, de proposer des choses iconoclastes et en mouvement. Le festival Expoésie a été le prolongement en trois dimensions — et même quatre avec le son ! — des partis-pris de la revue. En tant qu’auteur invité dans des festivals de poésie, je me rendais compte que le métissage entre les arts s’accélérait, en grande partie grâce aux technologies numériques. Cela peut paraître évident aujourd’hui, mais ne l’était pas forcément au début des années 2000, où la plupart des festivals étaient très spécialisés.
"Je suis assez désespérant pour les éditeurs, aussi bien en poésie qu’en roman : je peux difficilement être rangé dans une collection ou un compartiment particulier."
Je souhaitais montrer à un public élargi bien au-delà des seuls initiés — comme c’était trop souvent le cas en poésie —, que la création actuelle était bouillonnante, et se souciait peu des frontières physiques et artistiques. Puis petit à petit, l’implication des scolaires dans cette aventure s’est avérée évidente, il n’y avait pas besoin de leur faire de grands discours pour les débarrasser des préjugés et leur faire comprendre l’infini potentiel de la poésie quand elle ose se frotter à toutes les formes de création.
Vous avez publié trois romans sur des sujets contemporains, à tonalité souvent humoristique, aux Éditions de la Lauze : Le soleil de Vésone, Cher Monsieur, La vierge noire de Brive… Puis, avec De l’or et des Sardines et Au plus cher de nos vies qui vient de paraître, vous en êtes venu au roman historique. Le point commun reste que vos récits se situent entre autre dans un ancrage régional. Pourquoi ce changement de genre romanesque ?
H.B. : Je suis assez désespérant pour les éditeurs, aussi bien en poésie qu’en roman : je peux difficilement être rangé dans une collection ou un compartiment particulier, je m’ennuie vite et, comme je le disais plus haut, je suis curieux d’explorer divers domaines artistiques. Roman historique ou contemporain, pour moi peu importe, c’est l’écriture qui compte, et le sujet. Je ne peux pas me contenter de me dire : "Je vais pondre chaque année mon petit roman." Il faut qu’un vrai sujet fort me passe par la tête ou me tombe entre les mains. Pour De l’or et des sardines, je connaissais cette histoire de "casse du siècle" depuis plusieurs années, j’avais peur qu’on me la pique, je trouvais ça incroyable qu’elle n’ait pas encore été exploitée au niveau de la fiction. Mais il fallait que je dégage le temps nécessaire aux recherches puis à l’écriture. Du coup, j’ai pris goût au roman historique, à cette mise en perspective de témoignages et de documents, à cette synthèse rehaussée d’une pincée d’imagination. Et quand le sujet de Au plus cher de nos vies m’est apparu, je l’ai trouvé fort, et j’ai remis la machine en marche. Mais ça ne veut pas dire pour autant que mon prochain roman – s’il y en a un ! – sera un roman historique. Tout dépendra de la qualité de l’intrigue qui croisera, ou non, mon chemin.
"Le mystère qui entourait depuis soixante-dix ans le séjour d’Irène à Clairvivre constituait évidemment une base alléchante pour un roman."
Dans Au plus cher de nos vies, vous associez les figures d’Irène et Frédéric Joliot-Curie durant la Seconde Guerre mondiale avec les destinées de la cité utopique périgourdine de Clairvivre. Vous parvenez à dresser à la fois une fresque historique à rebondissements, aux accents de thriller scientifique, et une très belle biographie de vos deux héros. Comment ce sujet vous est-il venu ?
H.B. : Au départ, je ne connaissais pas en détail les biographies d’Irène et de Frédéric Joliot-Curie. Tout est parti d’un article sur Clairvivre, puis d’un livre que j’ai écrit sur ce sujet pour les éditions Le Festin. Là, en même temps que j’étais subjugué par les idéaux utopiques, autant sociaux que technologiques ou architecturaux, qu’avait véhiculés cette incroyable cité sanitaire, j’ai découvert l’épisode méconnu du séjour d’Irène à Clairvivre. Le mystère qui l’entourait depuis soixante-dix ans constituait évidemment une base alléchante pour un roman. Alors j’ai tiré divers fils historiques qui m’ont ouvert des portes vers des anecdotes rocambolesques, dans une période où la détention par les deux savants de l’eau lourde, élément de base pour la fabrication d’une bombe atomique, représentait une des responsabilités les plus incandescentes du monde libre. Et puis, en entrant dans l’intimité de ce couple, leur histoire d’amour, si moderne et atypique, m’est apparue au premier plan de leurs tribulations. Il me restait à construire une intrigue cohérente autour de tous les faits que j’avais récoltés.